Albanie : Expédition vers l'inconnu
Une réalité moderne étonnante
Mi-juillet 2011. Je décide de franchir la limite du connu et de partir en repérage avec notre voilier. Une équipe restreinte d’OCEAN71 Magazine m’accompagne vers la ville albanaise la plus proche de Corfou: Saranda. La traversée ne doit durer que trois heures. Dans le pire des cas, nous ne sommes pas loin de la Grèce. Mais surtout, nous avons réussi à nous mettre en relation avec un Albanais. Agim Zholi est agent portuaire. Il s’occupe depuis peu d’accueillir les navires étrangers qui décident de visiter les côtes de son pays. Ils ne sont pas légion. «Une bonne centaine depuis le début de l’année…», précisera-t-il. Un chiffre bien modeste comparé aux millions de navires de toutes tailles qui passent par les îles grecques voisines. Moyennant quelques dizaines d’euros, Agim nous enregistre au bureau des douanes. Pour l’heure, en Albanie, la plaisance n’existe pas. Elle est même interdite. «Afin de limiter la contrebande en mer, qui a explosé à la fin des années 1990, notre gouvernement a fait passer une loi interdisant aux Albanais de posséder un bateau, explique Agim. Peu importe sa taille, s’il est à moteur ou à voile. Personne n’est autorisé à en posséder un en dehors des pêcheurs professionnels.» Les bateaux de plaisance étrangers sont donc considérés comme des navires de commerce.
Ce statut d’un autre temps n’est pas notre seule surprise. Contrairement aux idées reçues, nous découvrons une population extrêmement chaleureuse, accueillant à bras ouverts les rares étrangers de passage. Nous nous étonnons de l’incroyable tolérance des Albanais en ce qui concerne les religions. Ainsi, au milieu d’une rue, il n’est pas rare de voir une mosquée et une église catholique presque côte à côte, sans que cela ne crée le moindre problème. Au contraire, en discutant avec plusieurs Albanais, nous découvrons leur incompréhension des tensions qui existent chez nous à ce sujet, alors que nos nations se décrivent comme ”développées“. Leur ouverture d’esprit est surprenante. Dans ce pays très majoritairement musulman, nous n’avons croisé dans Saranda (35 000 habitants) aucune femme voilée, alors que le muezzin chante cinq fois par jour l’appel à la prière du haut de l’imposant minaret qui surplombe la ville.
Bien sûr, l’Albanie moderne a ses travers. A commencer par la corruption. En moins de dix ans, le village de pêche de Saranda, construit comme un amphithéâtre autour de la petite baie qui lui sert de port, a triplé son nombre d’habitations. Les immeubles de béton ont poussé comme des champignons de façon totalement anarchique afin de satisfaire la clientèle touristique venue principalement des pays de l’Est. Un peu à l’écart de la ville, des dizaines de bâtiments effondrés sont laissés à l’abandon à quelques mètres des plages. «Les entrepreneurs peuvent soudoyer les autorités locales pour qu’elles ferment les yeux sur une construction sans permis, nous explique un fonctionnaire. Une dénonciation d’un voisin jaloux suffit pour que l’immeuble soit déclaré inutilisable; en d’autres termes, détruit. Rares sont ceux qui se donnent la peine de nettoyer les restes de ces ruines modernes. Vous construisez à côté, voilà tout.»