Une mine sous-marine de la seconde guerre mondiale, à proximité de Saranda © Philippe Henry / OCEAN71 Magazine

Albanie : Expédition vers l'inconnu

Des Américains en Albanie

Depuis cinq ans, Auron Tare s’est aussi associé au travail d’une fondation d’exploration sous-marine américaine, RPM Nautical Foundation, afin de cartographier précisément les fonds marins albanais. De son navire de 30 mètres, l’Hercule, l’équipe américaine inspecte les fonds à l’aide d’un sonar et découvre les nombreuses épaves qui y gisent.

Les obus sont nombreux et de toutes les tailles dans les fonds de la côte albanaise. La plupart d'entre eux datent des deux grandes guerres © Philippe Henry / OCEAN71 Magazine

Auron Tare m’explique pourquoi il est à peine surpris du nombre de vestiges trouvés si près des côtes: «La région a toujours été le lieu de passage d’un important trafic maritime. Durant l’antiquité, les galères passaient ici pour rejoindre le Moyen-Orient et l’Egypte. Plus récemment, ce carrefour méditerranéen a été le théâtre de violents affrontements maritimes, que ce soit pendant les deux guerres mondiales ou la guerre froide. En novembre 2009, nous avons trouvé pour la première fois, dans le canal de Corfou, les restes d’un des navires anglais ayant sauté sur une mine sous-marine en 1946. Cet événement est considéré comme l’une des causes de la guerre froide. En 2011, nous avons découvert par 50 mètres de fond 300 amphores presque intactes datant probablement du second ou du premier siècle avant Jésus-Christ. Depuis cinq ans que je travaille avec RPM, une vingtaine d’épaves de toutes les époques ont été localisées. L’isolement quasi total du pays pendant le vingtième siècle offre des conditions uniques de recherche. Nous découvrons année après année un véritable musée sous-marin !»

Au fil de la discussion, je réalise la grande fragilité de cet extraordinaire patrimoine historique que rien ni personne n’est venu déranger pendant des siècles.

Auron Tare continue: «Bien que située sur le continent européen, l’Albanie est encore un pays en voie de développement. L’eau potable n’est pas accessible partout, les pannes d’électricité sont fréquentes… Autre exemple: la plongée sous-marine n’est toujours pas encadrée par des lois. Celles-ci doivent être écrites et votées. Etant donnée l’absence de régulation, personne ne peut en théorie vous interdire d’aller plonger seul. Dans la pratique, la plongée échappe aux autorités. Cette carence rend la police très nerveuse à l’idée de laisser plonger des étrangers. Si rien n’est fait rapidement, notre patrimoine sous-marin, qu’il soit naturel ou culturel, risque d’être pillé. Malheureusement, dans le contexte politique et économique actuel du pays, la protection de ces vestiges n’est pas une priorité. Dans le nord, les dégâts causés par la pêche à la dynamite sont déjà très importants. Comme beaucoup de gens vivent en-dessous du seuil de pauvreté (le salaire moyen d’un fonctionnaire est de 150 euros par mois), certains n’ont d’autre moyen pour se nourrir que de pêcher avec des explosifs. Une catastrophe pour le milieu marin…»

 

Une plongée nous permet d'étudier les restes d'une mine sous-marine éventrée © Philippe Henry / OCEAN71 Magazine

 

Je me souviens alors d’une question qui me hante depuis que nous sommes entrés dans les eaux albanaises. «Les champs de mines sous-marins dont beaucoup parlent, existent-ils toujours ?» Auron Tare sourit. Je ne dois pas être le premier à lui poser cette question. Sa réponse me stupéfait: «Il n’y a jamais eu une seule mine posée dans l’eau pendant la période communiste. Cette histoire a été l’un des plus grands bluffs du 20ème siècle. Le dictateur Enver Hoxha a réussi à faire croire au monde entier que ces champs existaient pour dissuader quiconque de s’approcher des côtes. Les seules mines posées en mer datent de la Seconde Guerre mondiale. L’armée est en train de sortir les dernières de l’eau. Mais les grands champs de mines mentionnés aujourd’hui encore sur les cartes de navigation, n’ont, pour leur part, jamais existé!»

Quelques jours plus tard, nous regardons s’éloigner les côtes albanaises avec l’impression de rejoindre le monde connu. Nous rentrons avec le sentiment d’avoir découvert une région du monde si proche et pourtant si lointaine. Décidé à sortir au plus vite de son tumultueux passé et aux prises avec son incroyable reconstruction, le pays des aigles noirs commence à peine à révéler ses nombreux secrets. Au risque de voir disparaître en un rien de temps des trésors vieux de plusieurs milliers d’années.

 

Si le sujet sur l’Albanie vous intéresse, vous pouvez visionner notre série vidéo sur un étonnant passage de la vie de Jules César qui s’est déroulé dans le sud de l’Albanie. Une exclusivité OCEAN71 Magazine.

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