Albanie : Expédition vers l'inconnu
Quand isolement rime avec protection
Un mois plus tard, fin septembre 2011. «Je crois qu’il faut que tu viennes voir, me dit Philippe, photographe d’OCEAN71 Magazine, alors qu’il se tient dans l’eau, accroché à l’arrière de notre voilier. Ca va te plaire !» Il vient de trouver quelque chose d’exceptionnel, qui n’a rien à voir avec ce que nous avons pu observer depuis que toute l’équipe de l’agence m’a rejoint début septembre pour explorer les fonds marins de la région.
En venant en Albanie, je voulais vérifier une hypothèse: un pays isolé du reste du monde pendant près d’un siècle devrait avoir des fonds marins d’une grande beauté, puisque protégés de tout développement industriel et touristique. Mon intuition me disait que nous allions peut-être découvrir ce à quoi la Méditerranée devait ressembler jadis.
Après l’exploration de plusieurs criques proches de Saranda, mon hypothèse se confirme. Malgré les développements touristiques récents, nous sommes systématiquement seuls, alors qu’à quelques kilomètres, des milliers de bateaux s’entassent au mouillage le long de la côte grecque. Dans des eaux cristallines, nous découvrons des zones qui ressemblent à des réserves naturelles. A perte de vue, des champs d’algues vertes et d’éponges se développent harmonieusement. Dans les crevasses, nous trouvons même une forme de corail. Le long des canyons sous-marins et des tombants, nous progressons au milieu d’une végétation aquatique luxuriante, habitée de milliers de poissons et de crustacés. Seuls signes d’une présence humaine, de nombreux obus et des restes de mines explosées viennent rappeler le passé militaire du pays.
Reste à savoir si la première zone explorée n’est pas une exception. Nous mettons donc le cap plus au nord, le long des montagnes vertigineuses aperçues à notre arrivée d’Italie. Sur la carte, une grande baie encadrée par deux imposantes pointes rocheuses semble offrir le seul abri possible pour passer la nuit. Porto Palermo laisse présager un magnifique port naturel, situé presque à mi-chemin entre les deux grandes villes côtières du sud du pays, Saranda et Vlora.
Lorsque nous pénétrons en fin de journée dans la grande crique, nous découvrons une splendide forteresse ottomane, construite par Ali Pacha, gouverneur de la région sous l’occupation turque. Dissimulé derrière la forteresse, un grand quai en béton en forme de T permet à quelques bateaux de s’amarrer. Hormis notre ponton à l’abandon, le lieu est d’une beauté exceptionnelle. Tout autour de nous, des montagnes nous dominent. Sur les pentes rocheuses, seuls des herbes jaunies et quelques vieux oliviers résistent aux assauts du vent et du temps. En début de soirée, un petit chalutier en bois d’une dizaine de mètres de long vient s’amarrer à côté de nous. Avant de repartir le lendemain à l’aube, il vient débarquer et vendre sa pêche à des habitants subitement sortis de nulle part. Une bonne quinzaine de caisses débordant de poissons et de crustacés sont extraites des cales du navire. Philippe engage la conversation avec le pêcheur qui parle un peu italien. La discussion se poursuit sur notre voilier jusque tard dans la nuit. Agron, le patron de pêche, nous confirme que les eaux albanaises sont encore très riches. Mais pas uniquement de ce à quoi nous nous attendions. Quelques verres de raki plus tard, Agron nous raconte qu’il connaît un endroit en mer où il ne remonte pas que du poisson dans ses filets. Il se met soudain à chuchoter, comme s’il craignait d’être espionné : «Il m’arrive de remonter aussi des amphores romaines!»