Pearls of the Gulf © Francis Le Guen / OCEAN71 Magazine

Le fabuleux trésor du golfe persique

Les trésors du Creek

Nous approchons de Dubaï, la tentaculaire cité de métal et de verre germée du sable en moins de dix ans. Exubérance et démesure que cette ville de tous les records qui fait bien des envieux et à propos de laquelle tout et souvent n’importe quoi a été écrit. C’est par exemple une erreur de croire que la formidable prospérité de Dubaï ne serait due qu’au pétrole. La cité avait déjà commencé à se développer des années auparavant le développement de l’or noir grâce aux visions d’avenir de ses dirigeants et à leur sens du commerce. Avant la découverte du pétrole, les Dubaïotes vivaient essentiellement dans le désert, au sein de tribus aux règles strictes, mais certains s’étaient déjà tournés vers la mer, pratiquant le commerce et les « transferts de technologie » bien avant l’heure…

Vue sur Dubaï depuis la mer / © Francis Le Guen

«Ce qui est bon pour les marchands est bon pour Dubaï!» avait coutume de rappeler le Sheikh Rashid Bin Saeed Al Maktoum. C’est son grand-père qui a décidé de créer au début du 20e siècle une zone franche sur le Creek, un bras de mer s’enfonçant profondément dans les terres et constituant un port naturel propice aux échanges. Une idée de génie en ces temps où une forte pression fiscale régnait sur l’Empire Ottoman. En quelques années, quantité de marchands de tous horizons viennent s’y installer. C’est à cette époque que se crée par exemple, Bastakiya, le quartier iranien. C’est le lieu de tous les échanges commerciaux. Un atavisme toujours vivant aujourd’hui comme on le constate sur le port où des “dhows” venus de tout le monde arabe jettent l’ancre, le temps d’une négociation, d’un chargement ou d’un déchargement.

Les portulans permettaient de conserver les positions des lieux de pêche des perles © Francis Le Guen / OCEAN71 Magazine

Tournant le dos aux buildings géants, Victor m’entraîne vers Deïra, l’autre rive du Creek, celle du grand souk. Labyrinthe de ruelles, de boutiques, d’étals où nous nous perdons, dans le parfum de l’encens brut qui déborde des paniers. Le souk des épices, le souk de l’or… des montres précieuses, des lingots, des bijoux et même quelques perles… de culture! Tous ces trésors sont exposés à même la rue, sans protection apparente. Il est vrai que la délinquance à Dubaï est fortement découragée… Nous rejoignons Bur Dubaï, l’autre rive du Creek sur un “abra”, un petit bateau traditionnel à moteur apparent. Direction le musée Sheikh Saeed Al Maktoum où se trouve réunie dans les salles voutées en torchis et blocs de corail toute l’histoire des pêcheurs de perles du Golfe persique. Des photos d’époque, des maquettes de bateaux, des cartes anciennes… Sur un portulan pelucheux, à l’encre presque effacée, je repère la position des champs de perles, partout dans le Golfe, minutieusement inscrits. Huit zones étaient particulièrement riches, le long des côtes de l’Iran, de l’Arabie Saoudite, du Koweit et du Qatar.

Une photo me touche particulièrement: je croise la tristesse d’un regard en noir et blanc aveuglé de soleil. Une vie de forçat brûlée pour quelques grammes de nacre. Et, une fois de plus, je voyage dans le temps… sous la voûte étoilée de ces mille et unes nuits, à laquelle les marins se fiaient pour se diriger en mer, j’ai l’impression d’être parmi eux. Maniant la sonde en plomb inlassablement mouillée et remontée, pour connaître la profondeur et la nature des fonds. Essayant de trouver une petite place sur le pont, au milieu de compagnons d’infortune, pour soigner mes plaies à vif et voler un bref repos avant la venue du jour incendiaire, toujours recommencé.

On estime qu’environ 20 % des huîtres pêchées dans la région à l’époque contenaient des perles. Si bien qu’il fallait remonter des centaines voire des milliers d’huîtres pour espérer trouver une «larme des dieux». Chaque année, entre juin et octobre, la saison était officiellement ouverte par les Sheikhs. C’étaient les Nakhudas, les capitaines des bateaux, qui décidaient de la date du départ. Les équipages quittaient alors la côte en flottille de dows, à voile triangulaire, jusqu’aux bancs d’huîtres sur lesquels ils restaient en moyenne 120 jours avec quelques rares aller-retour à terre pour se procurer de l’eau, des dattes, du riz et du café qui étaient, avec le poisson, la base de la nourriture à bord. Les bateaux de taille variable étaient propulsés à la rame et à la voile et si certains équipages n’étaient composés que de quelques hommes, les plus gros en comptaient jusqu’à 80. La flotte perlière comptait près de 1’200 navires au début du XXème siècle.

Le visage fatigué d'un pêcheur de perle © Francis Le Guen / OCEAN71 Magazine

L’accès aux bancs était libre et aucun Sheikh n’avait la possibilité de s’en attribuer une partie. Mais leur exploitation était strictement réservée aux Arabes de la côte et la pêche réalisée parfois par des embarcations étrangères était très mal perçue et pouvait dégénérer en conflit. Une fois les bateaux ancrés, les plongeurs travaillaient toute la journée, ne s’arrêtant que pour la prière, le café et une courte nuit agitée, à même le pont. Les huîtres étaient ouvertes par d’autres hommes le lendemain matin, opération plus facile après une nuit à l’air libre. Les perles étaient alors récupérées et triées sous la surveillance étroite du capitaine.

Une fois de retour à terre, les Nakhudas procédaient à la vente de la récolte grâce aux intermédiaires, les Tawash, et reversaient une maigre part du butin aux plongeurs. Triées avec différents tamis, les perles étaient enveloppées dans un «egmesh», un tissu rouge vif et les Tawash revendaient alors les perles à l’unité ou au poids aux marchands internationaux, souvent indiens, qui allaient ensuite les négocier à leur tour jusqu’à Bagdad ou Bombay. Quand la saison était terminée, les hommes d’équipage retournaient passer l’hiver dans leurs oasis pour la récolte des dattes. C’est ainsi que certaines populations bédouines ont abandonné leur mode de vie semi-nomade et se sont sédentarisées, contribuant au développement des villages côtiers qui se sont ensuite transformés en mégapoles à l’instar de Dubaï. Que reste-t-il de ces trésors de perles aujourd’hui? Avec un sourire mystérieux, Victor m’informe que quelqu’un nous attend, à la banque…

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