Les nouveaux prédateurs du krill d'Antarctique
Des industriels « irréprochables »
Parmi les navires équipés du système de pompe en continu, il y a bien entendu les trois navires norvégiens autorisés à capturer du krill en Antarctique. Ils appartiennent à deux sociétés : Aker BioMarine et Olympic Seafood. Aker BioMarine possède deux navires, le Saga Sea (92 mètres), et l’ancien navire russe Thørshovdi (134 mètres) acheté en octobre 2011 et rebaptisé Antarctic Sea. Olympic Seafood n’en possède qu’un seul, Juvel (100 mètres), le dernier né de la flotte du krill mis à l’eau en 2003. Chaque année, les deux compagnies se partagent un gâteau estimé à plus de 100 000 tonnes de krill.
Depuis plusieurs années, les investissements dans cette pêche du bout du monde sont importants, car pour les deux sociétés, le krill d’Antarctique représente une matière première exceptionnelle et qui peut rapporter gros. Dans le ventre des navires comme l’Antarctic Sea, des dizaines de marins font le tri entre le krill congelé, destiné aux fermes d’élevage de saumons, et celui qui nécessite plus de soins et de traitements. Décortiquée selon un procédé qui demeure secret, la chair de krill est traitée pour en extraire un produit destiné au marché florissant des compléments alimentaires. Il s’agit de l’huile de krill.
Particulièrement riche en Oméga 3 et en antioxydants, cette huile couleur or, vendue en flacons ou en capsules, est sensée être le meilleurs des compléments alimentaires, loin devant l’huile de poisson. On lui prête des bienfaits qui dépassent toutes les espérances : soulagement des douleurs articulaires, diminution de l’arthrite, soulagement des douleurs menstruelles, réduction du cholestérol, diminution de certains symptômes allergiques, etc.
Pour commercialiser son huile, Aker BioMarine met en avant un élément marketing inattendu : «Nous pêchons le krill en Antarctique, l’endroit sur terre le plus vierge de tout contaminant et de toute pollution.» Sur son site web, un autre argument commercial est avancé : «Constituant la base de la chaine alimentaire, le krill n’a pas eu le temps de concentrer dans son corps des polluants nocifs tels que les dioxines, les métaux lourds ou les pesticides.» Ces arguments sont d’autant plus surprenants qu’ils soulignent indirectement le degré élevé de contamination des poissons prédateurs, au sommet de la chaine alimentaire, comme le thon ou… le saumon.
Pour se protéger des critiques, les deux sociétés norvégiennes vont plus loin : elles affichent bien en évidence un label de «pêche durable». Aker BioMarine s’est vue décerner en mai 2010 le label «MSC» (Marine Stewardship Council) ; Olympic Seafood a obtenu pour sa part le label «Friend of the Sea». Les deux sociétés disent respecter les quotas, avoir mis en place des techniques afin d’éviter de mettre en danger d’autres espèces et assurerait une traçabilité de l’ensemble de leurs produits.
Mais est-ce vraiment le cas ?
Ces labels, sensés garantir au consommateur une pêche éco-responsable, sont aujourd’hui sous le feu de lourdes critiques des ONG puisqu’ils auraient labellisé la pêche d’espèces de poissons proche de l’extinction, comme le colin d’Alaska ou le merlu du Pacifique, ou d’autres dont on ne sait scientifiquement presque rien, comme la légine d’Antarctique par exemple.
« En ce qui concerne le label MSC de la pêche du krill en Antarctique, il ne s’applique qu’à un seul des trois navires de pêche norvégiens : le Saga Sea d’Aker BioMarine. Le MSC ne prend pas en compte les autres navires de pêche du krill, explique Rodolfo Werner, le scientifique spécialiste du krill d’Antarctique. Je ne pense pas que le label MSC d’un seul navire de pêche soit suffisant pour dire que la pêche du krill d’Antarctique est durable… »
Pour les Norvégiens, cela ne fait aucun doute. Aker BioMarine se félicite d’ailleurs de compter parmi ses partenaires… le WWF norvégien. Dans un clip publicitaire de la société, Nina Jensen, la directrice de l’ONG en Norvège, se dit même «fière de collaborer avec une société qui permet d’améliorer la connaissance scientifique sur le krill.»
C’est l’un des problèmes majeurs de la pêche du krill. Les données qu’utilisent les scientifiques pour donner leurs recommandations à la CCAMLR proviennent des mêmes bateaux qui capturent le krill. L’organisation internationale de gestion a mis en place des limites de capture depuis 1991, et a établi des zones de pêche. C’est un fait. Mais jusqu’en 2002, l’annonce et la transmission des quantités capturées n’était pas obligatoire ; la surveillance par balise VMS (Vessel Monitoring System) de l’ensemble des bateaux n’a été rendue obligatoire qu’en 2010 ; finalement, la présence d’observateurs scientifiques embarqués sur la moitié des navires de pêche n’est obligatoire que depuis moins de cinq ans…
Aujourd’hui, les industriels du krill répètent inlassablement que la biomasse du petit crustacé est si importante qu’il peut être capturé en grandes quantités sans poser de problème. Avec les degrés d’incertitudes sur les quantités pêchées, les connaissances scientifiques et les moyens mis à disposition pour la surveillance et les contrôles, la question reste de savoir pour combien de temps ? #