L'énigme des îles Samoa

Des sprinteurs de classe mondiale

28 avril 2009. Ile de Tutuila dans les Samoa américaines.

Les biologistes Kelley Anderson et Brian Von Herzen étudient Airport Reef, un récif corallien situé à quelques mètres de profondeur à proximité immédiate de l’aéroport de l’île. Ce qu’ils découvrent dans l’eau, ce matin d’avril 2009, les stupéfaits : la partie du récif agonisant qu’ils avaient quitté la veille a comme ressuscité.

Les Cornes de cerf (cette espèce de corail tire son nom de sa ressemblance avec les bois de l’animal) ont retrouvé toutes leurs couleurs, alors que 35 heures auparavant les branches étaient blanches. Ce blanchiment signifiait que la zooxanthelle, une minuscule algue unicellulaire qui vit en symbiose avec le corail, l’alimentant et lui donnant ses couleurs, avait quitté son hôte.

Le récif proche de l'aéroport de Tutuila est composé de Cornes de cerfs, qui blanchissent tous les ans © Doug Fenner

Jamais les deux biologistes n’avaient osé imaginer que le corail puisse récupérer aussi rapidement. Et pourtant. Il n’aura fallu qu’un tout petit coup de pouce.

Pour leur expérience, les deux biologistes ont pompé l’eau de mer du récif à l’aide d’un simple tuyau d’arrosage. Sur la plage, cette eau a été refroidie d’un degré par une machine avant d’être rejetée sur le même récif. Un peu moins de 36 heures plus tard, les zooxanthelles ont réintégré le récif pour lui redonner toute sa couleur.

L’idée folle de refroidir les eaux des récifs est née quelques années auparavant des observations de Douglas Fenner, un biologiste passionné par les fonds marins des Samoa américaines qu’il explore inlassablement depuis 2003. Fenner travaillait à cette époque pour le Département des ressources marines et de la faune au sein du gouvernement local (le DMWR). Son étude approfondie lui avait permis de remarquer que chaque été, les Cornes de cerf du récif de l’aéroport blanchissaient. Fait extraordinaire, chaque hiver les coraux retrouvaient leurs couleurs.

Il faut préciser que le blanchiment en soi ne signifie pas que le corail est mort. Lorsque la température de l’eau augmente en atteignant une limite critique, les zooxanthelles quittent leur hôte. Le problème est que cette algue fourni d’importantes ressources vitales pour le corail. Sans elles, les récifs finissent par mourir.

Avant de connaitre les observations de Douglas Fenner, Brian Von Herzen, réalise entre 2007 et 2008 des expériences d’un genre particulier : il fait extraire de l’eau froide des grands fonds grâce à un système de pompes flottantes au milieu de l’océan. Lorsqu’il rencontre aux Etats-Unis la jeune biologiste Kelley Anderson qui vient de remporter une bourse pour ses recherches coralliennes, tous les deux s’enthousiasment à l’idée de trouver un moyen qui permette de refroidir les récifs pour les protéger du réchauffement climatique. Kelley Anderson émet cependant des réserves à l’idée de prendre de l’eau froide des grands fonds et de la réinjecter sur les récifs. Dans son laboratoire à Tutuila, elle m’explique ce qui l’inquiétait en 2008 : « Compte tenu de la haute teneur en éléments nutritifs dans les eaux profondes, les chances étaient grandes de déséquilibrer l’écosystème et d’amener des algues nouvelles des grands fonds sur les récifs. »

La jeune boursière propose alors une autre solution : utiliser l’eau du récif et la refroidir. L’expérience s’annonçait excitante. Encore fallait-il trouver le bon terrain pour la mettre en pratique.

«Ce sont les recherches débutées par Charles Birkeland et reprises par Steve Palumbi à Ofu qui ont rendu les coraux des Samoa américaines célèbres et m’ont orienté vers ce bout du monde, m’explique Kelley Anderson. Les variations enregistrées de température, d’oxygène dissous et de salinité subis par ces coraux sont beaucoup plus importantes que nulle part ailleurs. Les coraux des Samoas américaines sont entrainés à faire face à des environnements extrêmes. »

Lorsqu’en 2008, au grand Symposium international de Fort Lauderdale (Floride), Douglas Fenner présente ses trouvailles sur les coraux du récif de l’aéroport, le Dr Brian Von Herzen est subjugué par le phénomène dont il entend parler pour la première fois. Il en informe Kelley Anderson. La résistance à la chaleur avérée de certains coraux des Samoa américaines associés à la découverte de Douglas Fenner convainquent définitivement les deux biologistes que les Samoa américaines offrent un terrain d’exploration fascinant pour leur recherche.

« L’élément crucial qui nous a convaincu, c’est le blanchiment prévisible des coraux, me confie Kelley Anderson. Nous savions grâce aux travaux de Douglas qu’il avait lieu tous les ans sur ce récif même s’il ne s’agit pas d’une très grosse colonie. Je ne connais aucun autre endroit au monde où l’on peut estimer précisément quand commencent et se terminent les phases de blanchiment. Les scientifiques passent leur vie à poursuivre les blanchiments à travers la planète pour faire leurs expériences sans vraiment savoir où et quand ils ont lieu. Ce qui rend aussi très difficile la demande de financement pour ces recherches dont on ne sait pas définir ni le terrain ni le moment d’application. »

Les scientifiques isolent une zone qui doit servir de point de contrôle. On peut clairement observer que les pointes du récifs sont blanches © Kelley Anderson and Brian Von Herzen

Avec l’appui des prédictions de Douglas Fenner, Brian Von Herzen et Kelley Anderson présentent leur projet auprès de la Coopérative sur le changement climatique regroupant les îles du Pacifique (PICCC) qui leur donnent les moyens de mettre en place leur recherche.

Lorsqu’ils commencent leur expérience, les deux biologistes espèrent observer un recouvrement des coraux dans des délais qui leur semblent raisonnables : « Normalement, les coraux ont besoin de trois semaines pour retrouver leur couleur. Nous étions persuadés que ce laps de temps constituait le délai minimum qui permettait à la zooxanthelle de se réinstaller. »

Une fois leur système de refroidissement en plein air mis en place sur la plage, les biologistes plongent, équipés de masques, de tubas, de caméras et des cartes des fonds marins.

« Nous n’avons pas réussi du premier coup, se souvient Kelley Anderson. Dans un premier temps les bulles d’air projetées par le tube ont fragilisé le corail à proximité de son embouchure. Nous avons tout arrêté immédiatement et reculé le tube pour l’éloigner de quelques centimètres avant de tout relancer. Lorsque nous sommes revenus le lendemain, nous n’en croyions pas nos yeux. Tous les coraux s’étaient rétablis et avaient retrouvé leurs couleurs initiales. »

Leur première expérience réussie, les scientifiques ne s’arrêtent pas là. Kelley déplace le tuyau d’arrosage et l’oriente vers d’autres sites. Les résultats dépassent tout ce qu’elle pouvait imaginer : Sur quatre colonies de corail testées, trois réagissent encore plus vite.

« Pour l’une d’elles, il n’aura fallu que 18 heures ! s’exclame la chercheuse. Avec ce deuxième test, nous avons prouvé que la tendance au blanchiment des coraux pouvait être inversée en moins de 18 heures ! C’était incroyable ! Qui aurait pu imaginer que les zooxanthelles étaient des sprinters de classe mondiale ? Certainement pas moi. »

Actuellement, si la recherche a été momentanément suspendue, Kelley Anderson n’en continue pas moins ses investigations : « Ce projet est très prometteur et je travaille sur les images que j’ai prises au microscope de la zooxanthelle dans les sections blanchies et les sections non blanchies de la même espèce de corail. J’espère pouvoir enfin mieux comprendre comment le corail a pu se rétablir aussi rapidement. »

Sous l'influence de l'eau rafraichie sortant du tuyau, en bas à gauche, les Cornes de cerf ont retrouvé leur couleur signifiant que les zooxhanthelles a réintégré leur hôte © Kelley Anderson and Brian Von Herzen

Pour l’expert corallien de la région : Douglas Fenner qui continue d’observer tous les jours les fonds marins des Samoa américaines, le récif de l’aéroport de Tutuila restent l’une des occasions les plus excitantes à disposition pour les scientifiques d’étudier le blanchiment des coraux dans le monde à cause de cette prévisibilité unique et rare qui a séduit Kelley Anderson et Brian Von Herzen.

« Malheureusement peu de scientifiques viennent jusqu’ici alors que ces bassins sont une chance unique pour étudier ce qui cause le blanchiment et surtout ce qui peut être mis en place pour réduire ce blanchiment. » Selon Fenner, outre Kelley Anderson et le Dr Brian Von Herzen, la seule scientifique qui a exploré les opportunités du récif de l’aéroport est le Dr Vania Coelo de l’Université Dominicaine en Californie. « Elle est venue ici et a prouvé l’effet du soleil sur le blanchiment des coraux et comment l’ombrage peut réduire l’ampleur du blanchiment sur les coraux… »

A l’inverse des coraux qui pourraient avoir besoin d’ombre dans les années à venir, c’est bien de lumière que l’archipel des Samoa américaines a besoin, si l’on veut, un jour, pouvoir sauver les récifs coralliens du reste du monde.

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