Piège en haute mer

Deux squales dans un seul aquarium

Les deux hommes se rencontrent pour la première fois à Aukland en 2003. L’America’s Cup est l’occasion pour les milliardaires du monde entier de s’affronter sur l’eau sur des bateaux très en avance sur leur temps. Les deux squales que sont Ellison et Bertarelli se retrouvent finalement dans le même aquarium : la finale de la Louis Vuitton’s Cup. Contre toute attente, ce n’est pas l’Américain qui franchit le premier la ligne d’arrivée, mais le Suisse. Pire encore, dans la foulée il écrase les Néo-Zélandais, détenteurs de la grande Coupe depuis 2000.

Avec la victoire des Suisses, la coupe de l'America rentre en Europe après plus de 150 ans © Ivo Rovira/Alinghi

L’aiguillère d’argent rentre en Europe pour la première fois depuis sa naissance il y a 150 ans ! Un scandale d’autant plus important que l’équipe Alinghi n’est suisse que sur le papier. Pour arriver à ses fins, Bertarelli a rassemblé une dreamteam de marins. Vingt nationalités sont représentées. A leur tête, un traitre, que le milliardaire Suisse a réussi à débaucher peu de temps avant cette 31e édition aux Néo-Zélandais. Russell Coutts est leur meilleur barreur. Une légende vivante de l’America’s Cup. Et pourtant, moyennant un pont d’or, il a rejoint l’ambitieux Suisse. Malgré les menaces de mort que reçoit l’équipe tout au long de cette 31e édition, Bertarelli s’empare du Graal. La pilule est très difficile à avaler pour les Néo-Zélandais, mais surtout pour Larry Ellison, qui voit la Coupe lui échapper une première fois. La guerre est déclarée, d’autant que ses moyens son quasi illimités pour la gagner.

Ernesto Bertarelli flotte lui sur un nuage. Comme il l’a fait avec l’entreprise familiale, le jeune vainqueur veut changer, moderniser, rendre l’événement captivant. Il rend accessible au grand public ce que les Yachtmen ont maintenu très exclusif pendant plus de cent ans. Il s’agit d’un sport de gentlemen milliardaires. Le grand public ne peut pas comprendre ses finesses… Qu’importe, Bertarelli tient les rennes de la 32e édition.

Tant qu’il sera vainqueur, le Deed of Gift, document fondateur de l’America’s Cup, l’autorise à modifier les modalités de chaque édition. Au lieu de quelques mois, l’événement va s’étaler sur trois ans. Géographiquement, la Suisse n’ayant aucun accès à la mer, Bertarelli fait voyager la compétition dans toute l’Europe, de France en Sicile, et de Suède en Espagne. En plus des duels traditionnels, des manches avec tous les concurrents sont initiées. L’événement devient spectaculaire. Mais le Suisse révolutionnaire prend directement ou indirectement toutes les décisions. « C’est comme si le vainqueur de la Champion’s League choisissait lui-même le terrain, les arbitres, les caméramen et tous les organisateurs ! » s’exclame Bruno Troublé, ancien président de la Louis Vuitton’s Cup.

Les anciens monoques class America en duel de Match Racing. Ici les deux voiliers de l'équipe Alinghi © Ivo Rovira / Alinghi

La marque de luxe française claque d’ailleurs la porte de l’événement en juillet 2007. En juillet 2004 déjà, l’un des premiers contestataires est Russell Coutts, qui est licencié de l’équipe suisse. Mais Bertarelli sait que s’il veut conserver le trophée, il ne peut se permettre de voir ce génie de la tactique se retrouver aux mains de ses adversaires. D’une modification en urgence dans le règlement, il interdit la participation de Coutts à la 32e édition.

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