Samedi 13 avril 2013, la traque se complique. Cela fait déjà plusieurs heures que les policiers en voiture banalisée ont pris en filature une petite camionette qui a quitté Marseille pour se diriger vers le Nord de la France. Les trois passagers de la voiture de tête ne se doutent de rien. Ils atteignent Paris, mais obliquent vers la Belgique. Les véhicules avalent les kilomètres, traversent le plat pays et finissent par arriver aux Pays-Bas. Les gendarmes français contactent alors leurs homologues hollandais avant d’atteindre la destination finale du trio : le port de commerce de Rotterdam.

En planque à proximité d’un grand chimiquier hollandais rouge, le « Laguna D », les gendarmes observent discrètement les trois hommes décharger leur matériel de plongée : des combinaisons et des bouteilles, mais aussi des propulseurs sous-marins et des parachutes gonflables pour transporter sous l’eau des objets lourds… On est très loin d’une petite plongée entre amis. Les trois suspects sont arrêtés avant d’avoir eu le temps de se mettre à l’eau.

Connaissant le passé des Marseillais et en recoupant les informations, les policiers découvrent le but de ce voyage de 1 200 kilomètres : les hommes devaient récupérer une torpille fixée dans l’eau à la coque du « Laguna D ». Sur sa feuille de route, le chimiquier a fait des escales au Venezuela ainsi qu’aux Antilles néerlandaises. Les gendarmes retrouveront dans l’eau la « narco-torpille », contenant 101 kilos de cocaïne pure. Coupée de nombreuses fois, une telle quantité de poudre blanche vaut environ sept millions d’euros !

La « narco-torpille » représente quand même une prise atypique pour les policiers européens, plus habitués aux traditionnels « Go-Fast ». Ces longs bateaux surpuissants, dotés de moteurs de mille chevaux ou plus, tentent régulièrement la traversée entre le Maroc et l’Espagne à proximité du détroit de Gibraltar. Ils inondent ainsi massivement en hashish le très prisé marché européen.

Un bateau "Go-Fast" bourré de drogue se fait pourchasser et photographier par un hélicoptère de la douane américaine. Photo US Customs and Border Protection

Plus la distance est grande, plus il y a d’intermédiaires, plus les risques sont élevés et donc plus les coûts augmentent. C’est d’ailleurs en Asie et en Australie que la cocaïne est vendue la plus chère car elle doit traverser des pays qui tentent par tous les moyens d’éradiquer le fléau. Les risques deviennent alors démesurés.

Prenons par exemple l’Indonésie où la peine capitale est toujours en vigueur. De nombreux occidentaux sont arrêtés pour trafic de stupéfiants -parfois à l’insu de leur plein gré- et condamnés à errer dans le couloir de la mort pendant des décennies.

L’un des cas les plus connus est celui de Michaël Blanc, jeune Français de 26 ans en 1999, arrêté pour avoir prétendument essayé de faire rentrer en Indonésie 3,8 kilos de haschich dans des bouteilles de plongée qu’il dit lui ont été confiées par un ami. Ayant toujours clamé son innocence, il a été remis en liberté conditionnelle le 20 janvier 2014 après 15 années de prison. Il devra rester dans l’archipel musulman jusqu’en 2017, année qui marque la fin de sa peine.

Michaël Blanc n’est pas une exception. Un excellent livre a d’ailleurs été écrit sur le sujet : « Snowing in Bali » de Kathryn Bonella. Pendant son enquête de 18 mois, l’auteur a rencontré de nombreux Occidentaux condamnés pour les même raisons, afin de comprendre leur histoire et décrire leur vie dans la désormais tristement célèbre prison de l’île des Dieux, « Hôtel Kerobokan ». Le livre relate une multitude d’histoires où les équipements de sports nautiques tels que le bodyboard, le surf ou la plongée sous-marine sont utilisés comme moyens de transport de la drogue.

Un douanier inspecte les planches de surf utilisées par le brésilien Rodrigo Gularte pour dissimuler 6 kilos de cocaine en 2004. (AP Photo/Dita Alangkara)Jusqu’en 1994, des kilos de drogue soigneusement cachés à l’intérieur même des planches ont pu pénétrer en Indonésie sans éveiller les soupçons. Jusqu’au jour où un surfeur s’est finalement fait attraper. Il avait demandé à son « shaper » (fabriquant de planche de surf) d’incorporer plus de 4 kilos de cocaïne dans deux de ses planches. Les policiers se sont doutés de quelque chose en voyant qu’il transportait une scie dans ses bagages.

Chaque détail compte pour que les autorités puissent déjouer les nouvelles techniques mises au point par les trafiquants : un surfeur blanc comme un linge éveille les soupçons (alors qu’il est censé passer son temps à la plage), des perruques qui bougent, des plongeurs amateurs s’entraînant dans un port près de Marseille avec des propulseurs sous-marins et des parachutes gonflables…

Dans ce jeu perpétuel du chat et de la souris, ceux qui rivalisent d’ingéniosité pour passer à travers les mailles du filet sont les Sud-Américains.

L’explication est simple : l’essentiel de la cocaïne que l’on trouve dans le monde est produite en Colombie, en Bolivie et au Pérou. Cette drogue est celle qui rapporte le plus, et elle doit parcourir des milliers de kilomètres pour atteindre les marchés américain, européen et asiatique. Transporter d’importantes quantités de drogues sur de telles distances devient alors un véritable casse-tête pour les cartels qui utilisent bien souvent la haute mer comme terrain de jeu.

Tant par son ingéniosité que par sa complexité, le « narco submarine » sort du lot. Il s’agit ni plus ni moins d’un véritable sous-marin artisanal de poche capable de transporter plusieurs tonnes de cocaïne en toute discrétion et ce, à quelques mètres de profondeur.

Un narco-sousmarin artisanal, ou "Bigfoot". Photo WikipediaPendant longtemps, l’existence de ces submersibles était connue des services de police, sans pour autant avoir pu en capturer un seul. Ils étaient surnommés en anglais les « BigFoot » (c’est-à-dire l’abominable homme des neiges). Mais en 2006, la légende s’arrête. Le premier « narco sous-marin » est finalement trouvé, capturé et photographié au Costa Rica. Depuis, pas une année ne passe sans que plusieurs de ces engins ne se fassent repérer.

En général, la drogue est chargée à bord en Colombie ou en Bolivie, pour atteindre le Mexique. De là, elle passe la frontière américaine via d’autres moyens maritimes, comme les Go-Fast, ou terrestres comme des mules, des réseaux de tunnels ou encore des catapultes…

C’est justement entre la Colombie et le Mexique que la première « narco-torpille » a été capturée. Celle de Rotterdam en avril 2013 est la première à avoir été interceptée après avoir traversé l’Atlantique.

A quand le débarquement en Normandie d’un « narco sous-marin » ?

Il devra d’abord déjouer la surveillance des sous-marins nucléaires… la partie se complique.