L’équipe d’OCEAN71 Magazine est toujours à Malte. Le mistral continue de souffler. Les thoniers senneurs français que nous suivons dans le cadre de notre enquête sur le thon rouge sont toujours amarrés au quais de La Valette, presque sous nos yeux. Et pourtant. Selon certains journalistes, les pêcheurs français sont déjà tous en mer à attendre les thons rouges, « le couteau entre les dents… »
Bloqués au port, nous suivons attentivement ce qui s’écrit sur Internet à propos de ce poisson qui fait polémique. Je suis tombé par hasard sur un intéressant article de la très sérieuse AFP, notre agence de presse nationale, fournisseur d’informations aux médias du monde entier. L’article a été mis en ligne il y a cinq heures.
L’histoire démarre en fanfare, par un très sérieux « A BORD DU RAINBOW WARRIOR – A 50 km au sud des côtes maltaises, une noria de bateaux de pêche guette l’arrivée de bancs de thon rouge, sous l’oeil des militants de Greenpeace eux aussi à l’affût… » Je ne sais pas si c’est moi qui ne comprends pas la journaliste (Davide Berretta), mais je peux l’affirmer, le Rainbow Warrior est au mouillage, à l’arrêt, dans une baie au nord-est de Malte (donc très loin des 50 km au sud), et ce, depuis au moins quatre jours… sans parler de la « noria de bateaux de pêche » qu’évoque cet article, qui n’ont pas bougé du port de La Valette depuis jeudi dernier… Mais passons.
Un peu plus loin dans l’article, on peut lire « qu’équipés de jumelles et de détecteurs satellitaires, la vingtaine de militants de l’ONG qui réclame un moratoire international sont impatients d’en découdre. Mais pour le moment, les eaux sont trop froides et le thon est aux abonnés absents. » Je ne suis pas sûr que des jumelles sur un bateau à l’arrêt au mouillage loin des thoniers soient très utiles mais à nouveau… passons. C’est plutôt le passage au sujet de la température de l’eau qui est révélateur. Selon la carte des températures, que j’ai joint à cette petite réflexion, vous pouvez observer que les eaux maltaises et leurs alentours varient entre 18 et 21° C. Soit exactement ce dont le thon rouge a besoin pour développer ses organes génitaux et entamer sa traversée en Méditerranée…
Ces poissons pélagiques ne sont pas aux abonnés absents cette année, cher collègue. Lors de notre descente de plusieurs jours aux limites des eaux libyennes, la semaine dernière, nous avons croisé au moins deux grands bancs de thons rouges. Le problème vient plutôt de la météo. Vent et mer sont trop violents pour que les thoniers senneurs puissent déployer leurs filets et pêcher. Ne vous méprenez pas chers amis écologistes, je ne suis pas en train d’approuver la pêche au thon rouge sous cette forme (industrielle à grande échelle) mais mon objectif est de renseigner les lecteurs avec des informations justes, d’essayer par tous les moyens de leur fournir toutes les cartes.
Je passe rapidement sur le fait qu’en continuant de lire l’article, on découvre que les journalistes (dont celui de l’AFP) ont été acheminés par hélicoptère sur le Rainbow Warrior… Un peu d’action, ça ne fait jamais de mal… mais s’ils avaient rallié ce magnifique bâtiment par la mer, ils auraient très clairement réalisé que la mer n’est actuellement praticable par aucun d’entre nous, thoniers compris.
Du thon rouge, il y en a, comme il est confirmé dans l’article par un certain Massimo Spagnolo « qui dirige un institut italien proche de l’industrie de la pêche… » Vous pouvez lire par vous-même un document très intéressant que nous avons pu obtenir grâce à l’un de nos contacts dans le milieu. Ce document provenant du Ministère espagnol des Pêches, a le mérite de recenser ce qui a été pêché jusqu’au 23 mai 2010, en Espagne. Je recommande la ligne qui correspond aux Matanza (Almadabras en espagnol) par opposition aux captures des thoniers senneurs (Flotta de cerco Mediterraneo). L’Almadabras est une forme de pêche traditionnelle qui se pratique le long des côtes. Les pêcheurs placent un labyrinthe de filets dans le fond de l’eau où se perdent les thons rouges avant d’être capturés à mains nues. 542 111 kilos contre zéro, ce n’est pas rien quand même…
Pour finir, cet article est illustré par une très belle photo montrant, non pas un filet de pêche comme il est écrit dans la légende… mais une magnifique cage à thons rouges vide, tractée par un remorqueur qui est en dehors du cadre de la photo.
Vous allez sans doute vous demander pourquoi ai-je décidé de rédiger cette petite analyse personnelle qui n’engage bien sûr que moi et non OCEAN71 Magazine. Elle est en effet très critique envers notre profession, que je respecte énormément. Il ne s’agit pas de dénigrer le travail des ONG, ni de prendre partie pour ou contre les pêcheurs et fermiers légaux (qui sont en ce moment même archi-surveillés) ou illégaux qui me semblent être, eux, bien plus dangereux pour le thon rouge… mais notre travail est d’informer. Alors, informons. N’exagérons pas. Ne sous-estimons pas. Ne brodons pas. Si nous voulons que les gens croient en ce que nous disons, racontons-leur ce qui nous semble être le plus proche de la vérité. Je sais par expérience que nous vivons une époque qui consomme l’information à 300 à l’heure… Mais la mer est un autre monde. Il est parfois nécessaire de prendre le temps de la comprendre. Considérons-la en tant que telle. C’est du moins ce que nous essayons humblement de faire.
P.S. Je rassure mes collègues journalistes, nous sommes très loin de détenir la vérité absolue. Il est certain que nous ferons des erreurs, un jour ou l’autre.