La fin de la Grande Barrière de corail ?
La Grande Barrière de corail en état de siège
La nouvelle a fait le tour du monde en quelques jours. Pour la première fois, 150 scientifiques australiens se sont unis pour rédiger un appel au secours. La déclaration commune est adressée au gouvernement du Queensland (la région nord-est de l’Australie) qui risque de mettre en péril la Grande Barrière de corail pour des raisons économiques.
La raison de ce SOS émis aux quatre coins de la planète est la mise à l’étude de gigantesques chantiers industriels à l’intérieur même du parc marin, alors que cet ensemble corallien de 2600 kilomètres de long fait partie depuis 1981 du patrimoine mondial de l’UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization).
« La croissance économique australienne est basée principalement sur ses ressources minières, explique Richard Leck, le directeur de la campagne “Fight for the Reef” du WWF Australie. Le développement économique est une bonne chose, mais les moyens pour minimiser l’impact d’énormes chantiers industriels sur la Grande Barrière ne sont tout simplement pas étudiés. »
C’est le cas par exemple du delta de Fitzroy. Le projet est d’y construire un immense port industriel pour le chargement du charbon alors que cette zone est l’un des lieux importants de reproduction de la tortue à dos plat (Natator Depressus) et sert aussi d’habitat au dauphin à aileron retroussé (Tursiops Aduncus), deux espèces proches d’être menacées ! Autre exemple, le plan d’aménagement industriel dans l’une des parties les plus préservées du parc marin au nord, près de Cooktown.
«Plus au sud, le port d’Abbot Point est destiné selon les développeurs à devenir le plus grand port de charbon du monde ! Personne n’a pensé à étudier l’impact cumulatif de ces projets sur la Grande Barrière…», ajoute Leck.
La simple construction de ces complexes industriels est déjà une menace en soi pour le corail car il sera nécessaire de draguer les fonds marins de millions de mètres cubes de roches et de boues aux abords du récif.
Pour les scientifiques, le trafic important généré par la construction et le développement de ces ports industriels comporte d’énormes risques. De véritables autoroutes maritimes vont alors quadriller la zone comprise entre le continent et la Grande Barrière. La moindre collision, la plus petite erreur de navigation et ce sera une catastrophe majeure pour cette merveille de la nature qui a mis des millénaires à se constituer.
En 2010, le pays a déjà eu un avant-goût de ce qui risque d’arriver fréquemment : Alors qu’il repartait vers l’Asie, le Shen Neng 1, un vraquier chinois de 225 mètres de long chargé de 65 000 tonnes de charbon, s’écarte du chenal de sécurité pour raccourcir sa route. Il heurte à pleine vitesse un haut-fond corallien qu’il n’a pas vu, provoquant une déchirure de trois kilomètres de long dans la Grande Barrière ainsi qu’une marée noire !
Le désespoir des scientifiques est d’autant plus important que ces projets industriels viennent malheureusement s’ajouter à une liste déjà très longue de menaces qui pèsent sur ce lieu exceptionnel.
Le plus insidieux et destructeur est sans aucun doute l’élévation de la température de l’eau. Les polypes de certains coraux, particulièrement sensibles aux variations thermiques, perdent leur capacité à effectuer la photosynthèse. Ils blanchissent et meurent.
«L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes, liées au dérèglement climatique, font aussi de sérieux dégâts dans un récif de corail déjà très fragile, explique Richard Leck. Sans parler de l’acidification des océans qui le fragilise encore davantage…»
Dès qu’un déséquilibre nouveau apparait, les étoiles de mer prédatrices des coraux en profitent pour pulluler. Ces dernières années, l’acanthaster pourpre (Acanthaster Planci) se reproduit à vue d’oeil, profitant des écoulements issus de l’agriculture intensive riche en engrais comme la canne à sucre.
Finalement, le tourisme de masse a aussi sa part de responsabilité. En 2012, ce ne sont pas moins de deux millions de personnes qui ont visité ce parc marin.
Plus de 50 000 emplois sont liés directement au tourisme de la Grande Barrière de corail. Un business générant 5,4 milliards de dollars australiens (3,5 milliards d’euros). Malheureusement, il est fort à parier que le jour où les coraux auront disparu, les touristes déserteront aussi la région.
Une étude parue en 2012 s’est basée sur des observations pour avancer le chiffre hallucinant de 51% de couverture de corail ayant disparu en seulement 27 ans.
La question posée au gouvernement australien reste donc entière : est-il plus profitable d’investir dans l’étude et la conservation de ce parc maritime menacé ou dans le développement de terminaux industriels pour vendre du charbon à la Chine et à l’Inde ?
La réponse n’est peut-être pas uniquement du ressort de l’Australie. Du 16 au 27 juin 2013, le comité du patrimoine mondial de l’UNESCO se réunit au Cambodge. Si des actions concrètes ne sont pas prises d’ici juin 2014, il est envisagé d’inscrire la Grande Barrière sur la « Liste du patrimoine mondial en péril », surnommée la liste de la honte. L’Australie se retrouverait alors dans une situation très embarrassante, car elle rejoindrait la République du Congo dont les cinq sites classés à l’UNESCO sont tous en danger en raison du conflit armé qui sévit dans le pays depuis une vingtaine d’années.
Se pourrait-il qu’une des merveilles sous-marines de notre planète soit elle aussi en état de guerre permanente dans un pays pourtant démocratique ?
INFO : Article publié pour la première fois dans le Journal d’OCEAN71 Magazine, le 20 juin 2013.