Le cheval de mer n’est pas si exotique
La plongée sous-marine dans les eaux du Bassin d’Arcachon n’est pas à la portée de n’importe quel plongeur. L’essentiel de l’année, la température de l’eau est inférieure à 20°C, elle est souvent d’une couleur verte très loin du bleu azur caractéristique des mers chaudes, et les nombreuses particules soulevées par les puissants courants de marée peuvent réduire la visibilité à moins d’un mètre. Sans compter, dès le printemps, le trafic important des bateaux à moteur qui ignorent -ou font mine d’ignorer- un bateau au mouillage arborant un pavillon alpha, signifiant la présence de plongeurs…
Pourtant, ces difficultés techniques permettent de garder secret un trésor biologique méconnu. A quelques mètres des parcs à huîtres, à une profondeur de 3 à 5 mètres, une multitude d’hippocampes de la taille d’une main (jusqu’à 15 cm) vivent paisiblement dans les herbiers de zostères, une plante verte aquatique commune des côtes européennes.
Le Bassin d’Arcachon est d’autant plus unique qu’il possède la plus grande concentration d’hippocampes de France, devant l’étang de Thau où ils sont aussi présents en nombre. «Il y en a tellement dans certaines zones que des plongeurs ont pu observer en une heure de temps près d’une cinquantaine d’individus !» s’exclame Damien Grima, le coordinateur d’un projet en charge de rassembler le plus de données possibles sur les deux espèces, les mouchetés (Hippocampus guttalutus) et les nez courts (Hippocampus hippocampus). Un étude statistique qui n’a été initiée qu’en 2011.
Car malgré le caractère attachant et emblématique de ce petit poisson aux allures de cheval de mer, nous ne savons toujours pas grand chose de sa répartition géographique, de son abondance ainsi que l’état de conservation de sa population.
Le manque de données est tel que l’UICN, organisme international en charge de dresser la liste rouge des espèces menacées ou en voie de disparition, a inscrit 29 des 50 espèces d’hippocampes recensés dans le monde dans la catégorie «Data Defficient», soit «Manque de données».
«Par rapport à d’autres espèces, les hippocampes sont très peu étudiés car ils ne sont ni comestibles ni une ressource économique en Europe, ajoute Damien Grima. Ils font «juste» partis de la biodiversité marine ; raison pour laquelle nous venons à peine de commencer cette étude statistique.»
Pourtant, ce poisson a de quoi passionner plus d’un biologiste marin : Pas d’écailles mais une cuirasse constituée d’anneaux osseux, des yeux bien développés et mobiles indépendants l’un de l’autre, une bouche aspirant ses proies comme une paille ou un aspirateur, et une faculté de changer de couleur pour se camoufler ou parader avec son partenaire sexuel. Du point de vue du caractère, les hippocampes sont monogames et sédentaires (certains peuvent vivre toute leur vie sur quelques mètres carrés). Plus curieux encore, ce sont les mâles qui portent la centaine d’oeufs que les femelles déposent dans une poche ventrale et ce, jusqu’à leur éclosion trois semaines plus tard…
«Il y a une vingtaine d’années, ils avaient presque totalement disparu du Bassin d’Arcachon. Pendant très longtemps, les magasins de souvenirs les vendaient séchés et vernis comme porte-bonheur, ajoute Grima. Pour une raison encore inconnue, la population semble se reconstituer depuis dix ans.»
En Asie, les hippocampes sont toujours particulièrement menacés. En effet, dans cette région du monde, l’influente médecine chinoise prête au petit cheval de mer des vertus thérapeutiques nombreuses et variées : Séchés et réduits à l’état de poudre, certains hippocampes (dont les deux espèces européennes) soigneraient l’asthme, l’artérosclérose, l’incontinence, les maladies lymphatiques et la douleur en général. De plus, ils seraient un aphrodisiaque extrêmement efficace… de quoi alimenter largement une pêche à grande échelle.
Même s’il est difficile d’obtenir des statistiques fiables, plusieurs rapports confirment que la Chine, Hong Kong et Taiwan importeraient à eux seuls près de 40 millions d’hippocampes séchés par an.
Un business lucratif qui a poussé certains à créer des fermes d’élevage d’hippocampes. Après Hawaï et l’Australie du sud, l’Irlande a ainsi ouvert au début des années 2000 un centre d’aquaculture dans le Connemara pour fournir la médecine chinoise ainsi que les aquariums du monde entier, autre important marché demandeur.
Officiellement, la légitimité de ces ranchs subaquatiques serait de soulager la pression sur les espèces sauvages. Mais des associations de défense des animaux marins se sont élevées contre le développement d’une telle industrie d’élevage pour satisfaire l’Asie. Leur question est simple : au nom de la protection des espèces sauvages, l’homme a-t-il le droit de disposer comme il l’entend d’espèces animales issues de l’élevage ?
Un air de déjà vu ?