L’histoire oubliée des Emirats
Les Emirats arabes unis (E.A.U.) sont connus pour leur démesure immobilière, leur exubérance et leur puissance financière liée aux gaz et au pétrole. Mais qu’en est-il de leur passé ? Que savons-nous de cette région du monde avant que l’or noir ne fasse d’eux des hommes immensément riches ?
Malgré les efforts des émirs de vouloir cacher leur passé de tribus nomades, il subsiste aujourd’hui encore quelques infimes traces de leur histoire pas si lointaine. Lors de l’un de nos reportages dans les Emirats, un contact rencontré sur place nous a parlé d’un village abandonné au bord de la mer. Personne ou presque n’y va. Le lieu serait hanté par des esprits maléfiques : les djinns.
Nous n’avons pas mis longtemps pour retrouver ce lieu unique. Le village abandonné s’appelle Jazira Al Hamra, « l’Ile rouge ». Il se trouve dans l’émirat de Ras el Khaïmah, à 70 kilomètres au nord de Dubaï.
En quittant l’autoroute flambant neuve, on emprunte un chemin poussiéreux envahi par les buissons sauvages. Cette route accidentée aboutit sur une ville fantôme, coincée entre le désert et la mer. A perte de vue, des centaines de maisons sont à l’abandon, la plupart en état de ruines.
Nous sommes au coeur de l’un des plus anciens villages du golfe Persique. Selon les écrits, sa fondation remonte au 14e siècle. A l’époque, le village se situe sur une île, dont le sable a la particularité d’être rouge. Les habitants sont les membres de la tribu Zaabi. Ils vivent de la pêche, mais surtout de la récolte en mer des perles, abondantes dans la région.
A l’époque, les habitants de Jazira Al Hamra étaient les gardiens de la seule ville importante située à proximité, appelée alors Julfar. Il s’agit de l’ancienne capitale de Ras el Khaïmah. Les membres de la tribu Zaabi se sont battus contre les Portugais et plus tard contre les Anglais. Fins marins, ils étaient surtout connus pour leurs attaques redoutables contre les navires étrangers.
Les siècles passent et le commerce de perles décroît. Avec la découverte du pétrole et son exploitation au 20e siècle, de vives tensions apparaissent dans la région, plus particulièrement entre les habitant de Jazira Al Hamra et l’émir de Ras el Khaïmah. A tel point qu’en 1968, trois ans avant l’indépendance des Emirats arabes unis, les habitants quittent leur village dans la précipitation. Ils sont accueillis et relogés par l’émir du puissant état voisin : Abou Dabi.
En 1972, Ras El Khaima devient le 7e et dernier émirat à rejoindre l’état fédéral que l’on connaît aujourd’hui.
Depuis, la petite ville de pêcheurs est tombée dans l’oubli. Mais Jazira Al Hamra n’a jamais été détruite ou réhabilitée. Les maisons sont restées comme suspendues dans le temps depuis 40 ans.
Il faut dire que très rares sont les locaux qui s’y aventurent. Des légendes locales parlent d’étranges apparitions et des cris durant les nuits… Les djinns, de puissants esprits maléfiques, occuperaient les lieux. Certains émettent la possibilité que les habitants auraient fait courir eux-même ces bruits en quittant leur ville pour empêcher quiconque de s’approcher ou d’envisager détruire leurs maisons.
Car aujourd’hui encore, les descendants des Zaabi possèdent leurs titres de propriété. Un problème important pour l’émir de Ras el Khaïmah qui a investi une fortune dans le développement de complexes immobiliers démesurés, voulant faire entrer son état dans la modernité comme son exubérant voisin Dubaï.
A l’ouest, l’émir a fait construire le complexe d’Al Hamra avec ses somptueuses villas, son gigantesque palace, ses nombreux parcours de golf… Il s’est même permis une folie en faisant construire Al Marjan Island, des îles construites sur la mer à la manière de Dubaï. L’une d’entre elles reproduira à l’identique le logo du Real Madrid… vu de l’espace.
A l’est, le développement est tout aussi démesuré : Mini al Arab est un immense village privé composé d’îles reliées entre elles par des chenaux et canaux, à la manière de Venise.
Au milieu de cette explosion de villas luxueuses, les restes de l’ancien village de Jazira Al Hamra, subissant les assauts combinés du sable et du vent. Combien de temps résistera-t-il aux bulldozers et aux projets immobiliers ?
Il semblerait que les choses soient en train de changer. Des projets de rénovations voient le jour pour redonner à la ville son histoire passée. Le projet, financé en très grande partie par l’émir d’Abou Dabi, est d’aménager pour la première fois un village afin de faire découvrir aux touristes la culture et les traditions anciennes de la région. Les technologies modernes comme les téléphones portables et les voitures y seraient même interdites…
Se pourrait-il qu’enfin les Emiratis voient dans leur passé une façon de se tourner vers un avenir un peu plus à échelle humaine ? La réponse reviendra sûrement aux habitants qui jugeront si leur ville restera pour toujours authentique ou si elle aura été transformée en un parc des mille et une nuits… pour plaire aux touristes. #