Procida, perle de la Méditerranée

L’île rebelle

“Vous allez à Capri ou à Ischia ? » a-t-on l’habitude d’entendre en attendant le ferry sur le quai du port de Naples. Si vous répondez, « Ni l’une ni l’autre, je pars pour Procida », votre interlocuteur battra rapidement en retraite en lâchant un « Où ça ? » dubitatif.

 

Face à ses voisines, mondialement réputées, la petite île de Procida est une exception : un bout de terre presque secret de 3,6 km2 dans une région où le tourisme de masse déferle depuis des décénies. Naples est réputée pour son histoire et ses vestiges, Capri pour son luxe et ses fastes, Ischia pour ses sources thermales. Et Procida… pour son authenticité.

Les pêcheurs de Procida partent en mer quotidiennement pour ramener du poisson aux familles et restaurants de l'île © Philippe Henry / OCEAN71 Magazine

Dès l’arrivée du bateau dans Marina Grande, 30 minutes après avoir quitté Naples, on a l’impression d’avoir atterri sur une autre planète. Ou plutôt de sortir d’une machine à remonter le temps qui nous aurait projeté 40 ou 50 ans en arrière. Sur le port, aucun groupe de voyage organisé, pas de grands hôtels ni de barres d’immeubles. Encore moins de magasins de souvenirs. Les maisons aux façades peintes couleurs pastelles, rouge, bleu ou jaune, sont patinées par les vents et usées par les embruns mais elles conservent leur cachet d’antant. Le port et les rues qui y naissent ne sont pas un décor de façade.

 

Une quinzaine de minutes dans les rues étroites et à l’ombre d’un soleil de plomb suffisent pour atteindre à pied la Piazza dei Martiri qui permet de comprendre la diversité de l’île et son découpage géographique unique. Sur la gauche, un éperon rocheux sur lequel trône la Terra Murata, une forteresse construite par les Bourbons, ainsi que l’ancienne prison de l’île. Celle-ci accueillit successivement les opposants des Bourbons, les dissidents du régime fasciste puis ces mêmes fascistes après la chute du régime avant de compter parmi ses prisonniers les plus grands mafieux de la région. En contrebas, le petit village de pêcheur la Coricella, un joyau d’architecture italienne resté intact. Sur la droite, La Chiaia, une des grandes plages de l’île nichée au pied de monumentales falaises. De ce point de vue imprenable on distingue l’autre extrémité de l’île, au milieu, ses pointes successives, ses petits bourgs et les zones résidentielles parsemés de verdure.

Le magnifique village de pêcheurs "La Coricella" © Philippe Henry / OCEAN71 Magazine

Procida compte 11 000 âmes dans un espace ridiculement petit. Cette relative « sur population » la protégea d’un tourisme saisonnier de masse qui au fil du temps a rendu dépendant les habitants des îles voisines. « Pour ouvrir un grand hôtel il faut de l’espace et du terrain, raconte le vieux patron de La Medusa, l’un des plus vieux restaurants ouvert en 1954. Ici il n’y en a pas. Nous vivons avec ce que nous avons. C’est tout.»

 

Pourtant, nombreux sont les investisseurs qui font le voyage pour trouver un moyen de tirer profit d’un tel paradis si peu exploité et qui inspira en leur temps des auteurs de génie comme Alphonse de Lamartine avec son roman d’amour Graziella, et bien plus tard Elsa Morante avec L’île d’Arturo. Aujourd’hui, ce sont les réalisateurs de cinéma qui quittent Procida enthousiastes. Ils savent qu’ils ne trouveront nul part ailleurs de meilleurs décors symbolisant les années 50-60. Les deux grandes fiertés des habitants demeurent à ce jour Il Postino, de Michael Radford tourné en 1994, et en 2000, Le talentueux Mr Ripley d’Antony Minghella.

Les rues de Procida, avec ses mythiques scooters © Philippe Henry / OCEAN71 Magazine

Profondément attachés à ce sentiment unique de se sentir encore chez eux, les Procidani cultivent avec abnégation leur tourisme très exclusif. Les rares hôtels ne comptent pas plus de 15 chambres, le prix du café ne dépasse jamais un euro et il est très difficile de trouver un serveur parlant couramment l’Anglais… A tel point qu’ici les portes des maisons restent constamment ouvertes car tout le monde se connaît. Où irait de toute façon un voleur ? A Procida le crime ne paie pas. Conséquence indirecte de cette simplicité si chère à ses habitants, la mafia tant réputée de Naples, la Camora, n’a pas prise sur une île qui ne voue aucune adoration au luxe et à l’argent. Les habitants vivent presque uniquement des revenus qu’ils tirent de la mer.

 

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