Le rouleau compresseur médiatique est en marche. Les Jeux olympiques sont sur toutes les lèvres car le cocktail est parfait : exploits humains et sportifs, gloire, patriotisme et une touche de scandale. Mais cette année, le rendez-vous quadriennal va rester gravé dans les annales, en grande partie à cause de son coût exorbitant. L’estimation de 12 milliards de dollars, faite par Vladimir Poutine en 2007, a été largement sous-estimée. Les derniers calculs font état d’un montant total de 50 milliards de dollars. En comparaison, les Jeux de Vancouver ont coûté un peu plus de huit milliards de dollars en 2010.
Malgré tout, ces Jeux olympiques ont le mérite de braquer les projecteurs sur la mer Noire et plus particulièrement sur la région de Sochi dans le Caucase du Nord. Cette partie de la Russie, qui se situe à la même latitude que la Côte d’Azur, est appréciée pour son climat subtropical. Une région devenue très populaire auprès de la classe dirigeante durant l’ère stalinienne.
Avant 2007, Sochi était une petite ville tranquille avec son front de mer et ses palmiers ; pas forcément une destination privilégiée pour les sports d’hiver… Et pourtant. Le 4 juillet 2007, le destin de cette ville balnéaire a basculé lors de l’assemblée générale du Comité international olympique au Guatemala.
Afin d’accueillir les tous premiers Jeux olympiques d’hiver en Russie, les architectes et ingénieurs ont dû partir d’une feuille blanche. Il n’y avait pour ainsi dire pas la moindre infrastructure existante répondant aux critères d’une telle manifestation sportive. Le village olympique, les stades, les routes, les voies de chemins de fers, les gares, les hôtels, l’aéroport, etc… tout était à faire. Pour permettre la construction d’un tel projet, une quantité gigantesque de matériel devait être acheminée. Décision fut alors prise de construire un port à proximité du site olympique d’Adler.
La difficulté est que cette portion de côte de la mer Noire n’offre absolument aucune protection naturelle contre les éléments. Un brise-lame a été construit, mais selon l’excellent documentaire « Quand Poutine fait ses jeux » diffusé sur ARTE, les piliers de soutient du port n’auraient pas été immergés assez profondément.
Lorsqu’une tempête a frappé la côte durant l’automne 2009, avec des vents d’une extrême violence et des vagues atteignant neuf mètres de haut, le port presque terminé a été complètement détruit.
En 2012, le port d’Adler fût enfin reconstruit. Mais il était trop tard. Une voie de chemin de fer mise en place en urgence avait déjà permis de transporter une grande part du matériel. Bien qu’il soit prévu de transformer les quais flambants neufs en marina de luxe lorsque les Jeux seront terminés, les investisseurs du port sont assurés d’essuyer de lourdes pertes.
La tempête de 2009 est une des caractéristiques qui font de la mer Noire un bassin unique. La navigation est réputée très dangereuse à cause de son immensité et de l’absence de protection contre le vent et les vagues. Cette étendue de 422’000 km2 ne compte que dix petites îles. Son nom n’inspire pas confiance. Il est d’ailleurs tellement difficile d’en trouver l’origine exacte qu’elle est source de conflit entre historiens. Une des théories est que la mer Noire tire son nom de l’extrême noirceur de ses eaux en hiver, lors des jours d’épais brouillard.
Autre fait intéressant, la mer Noire serait le seul et unique endroit de la planète où les épaves en bois de l’antiquité sont parfaitement conservées. L’explication scientifique de cette curiosité se nomme l’anoxie. Il s’agit d’un manque important d’oxygène dans l’eau. La particularité de la mer Noire est qu’il n’y a pratiquement pas de mélanges entre les eaux de surface et de profondeur. Il en résulte une absence quasi totale d’oxygène à partir de 50 mètres. À 200 mètres, l’environnement parfaitement anaérobique empêche les organismes qui décomposent le bois de survivre, protégeant ainsi un véritable musée naturel sous-marin.
Plus récemment, le delta du Danube, situé entre la côte ukrainienne et roumaine de la mer Noire, a été inscrit sur la liste du patrimoine mondiale de l’UNESCO. Une reconnaissance mondiale pour cette importante biosphère.
Mais bien qu’il soit reconnu comme unique, l’environnement de la mer Noire n’en est pas moins menacé. En 2008, le Conseil européen a publié un rapport alarmant, prédisant un désastre écologique dans la région si rien n’était fait pour enrayer la surpêche ainsi que le déversement massif de produits toxiques dans les cours d’eau qui se jettent dans la mer Noire. Les six pays côtiers, Roumanie, Ukraine, Russie, Géorgie, Turquie et Bulgarie, vont devoir redoubler d’efforts afin de limiter les dégâts des dernières décennies industrielles. En effet, n’étant reliée à la Méditerranée que part le détroit du Bosphore, les niveaux de toxicité de la mer Noire ne peuvent qu’augmenter si les agissements actuels perdurent.
Une fois que l’effet médiatique des Jeux olympiques se sera dissipé, il est fort à parier que la mer Noire retournera à son plus sombre destin.